vendredi 30 juin 2023

Guillaume de Nogaret, rentier de Calvisson - 1ère partie

Article réécrit après analyse et mise en parallèle de deux *monuments* rapportés dans
"Histoire ... de la Ville de Nîmes" -tome 2 paru en 1751- de Léon Ménard (1706-1767)
- 1322 : mission confiée au Sénéchal de Beaucaire et Nîmes (Source gallica.bnf.fr/BnF)
- 1325 : information donnée à Raymond de Nogaret (Source gallica.bnf.fr/BnF)

En 1304, le Roi Philippe IV le Bel alloue à Guillaume de Nogaret, par deux "assignats" successifs, 800 livres de rente (≈ 375 000 € aujourd'hui), dont 500 livres à prendre sur le château et la viguerie de Calvisson et sur le pays de la Vaunage (ainsi que, plus tard..., sur d'autres paroisses du diocèse de Nîmes).

Raymond de Nogaret, fils et héritier de Guillaume, n'y aurait-il pas °trouvé son compte° ? Il demande, en 1323 semble-t-il, que lui soit délivrée une copie de l'estimation qui aurait alors été faite.
Le Roi Charles IV le Bel lui donnera satisfaction en mai 1325 (2nd *monument*).

Dans le même temps, les successeurs de Philippe IV le Bel (Louis X le Hutin puis Philippe V le Long puis Charles IV le Bel) cherchent à recenser et estimer les largesses accordées par leur prédécesseur sur le Trésor et les Domaines royaux.

Dans ce cadre, Guy Chevrier, Sénéchal de Beaucaire et Nîmes, est chargé en 1322, par le Roi Charles IV le Bel de procéder à l'estimation (actualisation ?) de ladite °rente Nogaret° (1er *monument*).

Les comptes-rendus des deux estimations, rédigés en latin médiéval, figuraient dans les archives du château de Marsillargues. La mise en parallèle des éléments de l'assise permet d'apprécier comment la Ville et la vie ont évolué de 1304 à 1322.

Pour Calvisson, Sinsans, Bizac et Razic,"qui sont du même consulat"
(la livre {lb}, environ 287 € de nos jours, contient 20 sols, le sol {sl} 12 deniers, le denier {dn} 4 pittes {pt})
1304 1322
- 260 feux, valant chacun 3 sols, = 39 lb
- 15 albergues (droit de loger gratuitement chez l'habitant pour une nuit) par an, à 2 sols = 30 sl

- la taille = 50 lb


- les impôts annuels divers perçus en argent
= 64 sl 9 dn & 3 pt

- (ensemble des droits des juridictions
= 85 lb 5 sl 6 dn & 3 pt)

- la redevance sur 35 cestérées de blé méteil
= 15 lb 15 sl


- 13 cestérées (= ?) d’orge = 8 sl

- 1 canne (= en litres ?) d'huile = 6 sl
- 11 chapons (un par mois sauf en carême ?)
à 15 deniers = 13 sl & 9 dn;
 2 lapins, à 12 deniers = 2 sl


- pour Sinsans, 3 salmées de bois par animal portant le bât, à 5 deniers,
= 15 sl (12 animaux ?)
- 397 feux, valant chacun 4 sols, = 79 lb & 8 sl
- 15 albergues par an, à 5 sols = 75 sl


- la taille = 50 lb
- le cens = 18 lb 17 sl & 7 dn
- la taxe sur le notariat/écritures = 10 lb
- les impôts annuels divers perçus en argent
= 64 sl 9 dn & 3 pt
- le droit de coupe du blé (3 eyminées) = 7 sl 6 dn
- le droit de coupe de l'avoine (3 ey.) = 3 sl 9 dn
- le droit de sarcler la vigne (?) = 11 sl
- le droit de pesage = 15 dn
- la redevance sur les blés produits à Plan-long et à La Brugère (50 cestérées de blé mêlé par an)
= 12 lb 10 sl

- 13 cestérées (= ?) d’orge, mesure de Sommières, = 39 sl
- 1 canne (= en litres ?) d'huile = 4 sl
- 11 chapons à 3 sols
= 33 sl
- 2 lapins, à 1 sol = 2 sl
- 7 langues de boeuf, à 3 deniers = 1 sl 9 dn
- 5 longes de porc à 4 deniers = 1 sl 8 dn
- pour Sinsans, 3 fagots de bois par animal portant le bât, à 8 deniers, pour 21 animaux,
= 42 sl
Pour Livières, qui fait l'objet d'un article distinct
- 8 feux à 2 sols = 16 sl
- la taille = 8 lb
- la 8e partie des juridictions civiles =12 dn

- les 7 autres parties de ces droits,
estimées sur le loyer qui serait perçu du prix
de leur éventuelle vente = 16 dn (1 sl & 4 dn)

- 2 feux à 2 sols 8 deniers = 5 sl & 4 dn
- la taille = 8 lb
- la 8e partie °jouie° sur les droits de juridictions mineures (explication suivra) = 3 sl
- la rente sur les 7 autres parties de ces droits,
assise sur le loyer qui serait perçu du prix
de leur éventuelle vente = 4 sl & 4 dn
- 1 eyminée d’orge, mesure de Sommières, = 3 sl

La rente annuelle °1322°, à payer par les habitants de Calvisson, est ainsi estimée à 185 livres 2 sols 3 deniers & 3 pites, soit environ 52 800 €. Dite °pension° dans les délibérations consulaires, elle sera perpétuée (et revalorisée ?) au profit des seigneurs successifs jusqu'à l'avènement de la République.

* * * * * * * * *

En 1322 (mais pas en 1304), Nogaret est par ailleurs °possesseur° du Bois de Calvisson, évalué 40 livres (≈ 11 400 €), valant une rente annuelle estimée à 11 sols (≈ 20 727 ans), apparemment non mise à la charge des habitants.

mercredi 14 juin 2023

Une montagne dans le chœur de l'église Saint-Saturnin ?

"Du septième Messidor an deuxième de la République, une & indivisible (25 juin 1794)", la Municipalité de Calvisson reçoit un ordre émis le 12 ventôse (2 mars) précédent : "faire toutes les dispositions nécessaires pour ériger la ci-devant église en Temple à la Raison, afin d'y célébrer tous les jours de Decadi des fêtes à la Raison" (V° Brozer).
Par le même courrier, "la Société populaire de Calvisson", qui est à l'initiative de la décision, est autorisée à "élever dans le ci-devant chœur de l'église une Montagne ...".

En cette période de Terreur imposée par les Montagnards (les révolutionnaires les plus radicaux), le Conseil général de la commune désigne immédiatement deux maçons et deux menuisiers pour dresser plan et devis estimatif des travaux à effectuer.

L'estimation est reçue rapidement, le 25 Messidor (13 juillet) suivant ; elle est de 10 984 livres et 7 sols (un peu plus de 186 000 € aujourd'hui).
Le conseil décide alors de "se pourvoir au Représentant du Peuple [missionné par la Convention pour le Gard] pour l'inviter à indiquer la Caisse dans laquelle la somme nécessaire ... sera prise" ... et "les ouvrages [seront] exposés à la moindite et l'adjudication faite à celui qui fera la condition meilleure".

Le lendemain 26 Messidor (14 juillet) est célébrée audit Temple, "avec la Garde nationale et un grand nombre de citoyens de tout âge et de tout sexe", la Fête de la Fédération.
Le Secrétaire de la Commune (également "Accusateur public temporaire") y prononce un discours enflammé à la gloire des "immortels parisiens du 14 juillet 1789", dénonçant "les privilégiés [qui] conspirent contre la liberté du Peuple", ... ainsi que "les fédéralistes ... complices ... des conspirateurs".

La chute de Robespierre, le 9 thermidor (27 juillet) suivant, modérera ces discours et sera même l'occasion, l'année suivante, d'un "fête du 9 Thermidor" célébrée, en plus grand apparat encore, "au Temple de l'Être Suprême", avec danses, tambours et hautbois, et illuminations.

* * * * * * * * *

Je n'ai pas trouvé que cette montagne ait un jour été construite.

 

 

jeudi 1 juin 2023

Philippe-Laurent de JOUBERT, fabricant d'eau-de-vie à Calvisson

Portrait par Jacques-Louis David vers 1786
Collection Musée Fabre, Montpellier

Philippe-Laurent de JOUBERT (1729-1792) était Trésorier des États de Languedoc, une "charge" de l'Ancien Régime fort rémunératrice, tenue dans sa famille depuis les années 1600.

Châtelain du Bosc, sur la commune de Mudaison (Hérault), il était propriétaire à Calvisson d'une fabrique d'eau-de-vie.

En 1780, il y fit venir Ami (Aimé) ARGAND, physicien et chimiste de Genève, un inventeur éclectique comme il en existait alors. Accompagné de son frère aîné Jean, également physicien, ARGAND vint tester un système qu’il avait mis au point pour augmenter la quantité d’alcool produite à partir des vins passés à l’alambic et en améliorer la qualité.

Le résultat fut concluant et JOUBERT, durant les années 1781 et 1782, installa les deux frères dans une fabrique plus grande qu’il possédait dans son domaine de Valignac à Mudaison.

Il leur acheta les droits d’inventeur et les frères rentrèrent à Genève.

La Révolution fut fatale à la fortune de JOUBERT, qui mourut criblé de dettes après avoir prêté (sur les fonds publics ?) à des prélats et aristocrates exilés. Ses héritiers furent contraints d’abandonner tous leurs biens et droits à la République (transaction du 26 Germinal An II - 15 avril 1794), parmi lesquels les domaines du Bosc et de Valignac ainsi que les immeubles de Calvisson.

L'inventaire des "effets concernant la grande fabrique d'eau-de-vie que fut [feu] Joubert avait faite et établie dans ce lieu" fut dressé, sur réquisition de la municipalité, en début janvier 1794 par "le citoyen Jean Jaumeton ayné, négociant" (V° Brozer).

Ces bâtiments situés à Calvisson, estimés 20.009 livres, dans lesquels se trouvait donc une distillerie de vin, furent vendus comme biens nationaux le 7 Messidor An III - 25 juin 1795 à Jacques MICHEL (sans autre précision) pour 248 000 livres.

* * * * *

Où étaient situés ces bâtiments ? Une fiche de la Direction Régionale des Affaires Culturelles établie en 2011 pour le classement de la Maison Margarot (que certains pensent avoir été construite par JOUBERT -thèse très douteuse au regard des documents anciens numérisés en 2021-) rapporte "une distillerie d’eau-de-vie près de la place du pont de l’église". Sans plus de précision …

Alors, … Au hasard de recherches diverses, une trouvaille.

Dans le Journal du Gard du 30 janvier 1808 (ici, page 6), la publication d’une vente judiciaire des immeubles saisis sur Pierre-André Reboul, fabricant d'eau-de-vie en faillite, demeurant à Calvisson, parmi lesquels figure "dans l’état des sections (vraisemblablement le cadastre °révolutionnaire° établi en 1791), ... à la cote Joubert, négociant de Montpellier, ... une fabrique d'eau-de-vie, cellier, cour, jardin et dépendances, contenant 3 ares 60 centiares ...".

Puis, toujours dans le Journal du Gard, du 13 août 1808 (ici, pages 6 et 7), la description des immeubles "Joubert" finalement saisis et à vendre : "une pièce au rez-de-chaussée, servant de magasin, rue de Baratier ; après ladite pièce, un grand local couvert où il y a un puits dans lequel se trouve une pompe en cuivre pour puiser l’eau, fixée dans le mur ; plus une autre pompe, aussi en cuivre, à gauche, qui est dans une cuve en pierre pour soutirer le vin ; plus sur la droite, deux cuves en pierres bâties à chaux, lesquelles contenant 3 serpentes, ... ledit local couvert prenant jour sur la rivière ; plus à gauche dudit local couvert, un jardin et cour donnant sur la rivière et la rue de la Font-Vieille …".

Cette description permet de les situer comme suit sur une photo aérienne IGN d'aujourd'hui :

Reste maintenant à trouver comment "on passe" de Jacques MICHEL en juin 1795 à Pierre-André REBOUL en janvier 1808 …