samedi 12 février 2022

Quand la Maison de Ville a servi de morgue

En février 1708, le Premier Consul expose au Conseil politique (V°Brozer) que "le cadavre de Charles D. qui s'était homicidé lui-même étant resté dans la Maison de Ville pendant quatre mois avait si fort infecté la chambre qu'il était presque impossible d'y demeurer".
Pour y remédier, le Premier Consul a "non seulement fait blanchir la Maison de Ville mais encore fait parfumer tout le membre (la chambre) avec du romarin et du genièvre".

Pour ce faire, il n'a payé que cinq sols (≈7 €) "pour une charge de bois", car le blanchissage a "été fait par Mre A. en considération du bail passé à R. son gendre d'un herme du présage de I. R.".

"La Compagnie approuve la dépense de cinq sols (→elle sera donc remboursée au Premier Consul et intégrée à la prochaine imposition générale←) et remercie [le Premier Consul] de ses soins".

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Le Conseil politique est habituellement "assemblé dans la Maison de Ville (rue de la Fabrerie = de l'Hôpital) tant au son de la cloche que par Louis S., Valet de Ville". Mais celui du dimanche 11 septembre 1707 est "assemblé dans la maison de M. de Bonafoux, Conseiller du Roi et Maire perpétuel de la Communauté, ... dans la salle basse, ... à cause que la Maison de Ville se trouve occupée".
Les réunions suivantes se tiendront dans cette maison ; jusqu'à celle du 19 février 1708 qui comprend la délibération narrée ci-dessus et se tient de nouveau dans la Maison de Ville.

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Étienne de Bonafous (1667-1724) puis son fils François (1695?-1737) furent °propriétaires° de l'office de maire perpétuel de Calvisson de ≈1695 à 1737 (décès de François). En 1706, Étienne de Bonafous cumule même les offices (qu'il a achetés) de viguier, de juge au marquisat et de maire perpétuel, le tout pour Calvisson... (V°Brozer).
Les réunions du conseil consulaire eurent lieu le plus souvent °en leur absence°.
L'office de "maire perpétuel" avait été créée en août 1692 par Louis XIV afin de résoudre partiellement les difficultés financières de la fin du règne, causées notamment par les nombreuses guerres menées en ces temps.
→Le système de "vénalité des offices" (les "charges") atteint le sommet de son importance sous le règne de Louis XIV. Il se poursuivra pendant le règne de Louis XV et, dans une moindre ampleur, pendant celui de Louis XVI.
Ce °système° fut supprimé par l'Assemblée constituante dans "la nuit du 4 août".←

mardi 8 février 2022

L'église Saint-Saturnin au fil des ans

La brochure ecclésiale de présentation mentionne une "église romane" qui aurait existé "autour des Vè ou VIè siècles" ; mais aucun document ne vient étayer cette affirmation.
En mars 2017, l'INRAP a effectué des fouilles archéologiques à proximité immédiate de l'église actuelle, préalablement à une éventuelle opération de restauration du mur nord ; elles n'ont pas plus permis d'étayer l'affirmation d'une église ancienne ni d'un "prieuré [avec] bâtiments conventuels et cloître".
Par contre, elles ont fait apparaître une occupation bien antérieure à l'église romane dont l'histoire est avérée : peut-être une forge, pouvant être datée des Vè ou VIè siècles, et une toiture effondrée.
Ont également été mises au jour neuf sépultures, datées des VIIè au XIIè siècles.

La première mention écrite "Saint-Saturnin" se trouve dans une charte intitulée "de Arderanco" (Cartulaire de la Cathédrale de Nîmes) d'avril 918, rédigée en latin : "loco Airanco (*) ... terra vacua ... de orientis est via publica qui de Sancto-Saturnino in Litoraria discurrit" [au lieu d'Ardessan(*) ... une terre vide ? vacante ? non cultivée ? ... à l'orient est la voie publique qui est utilisée de Saint-Saturnin vers le littoral].
On retrouve le nom "Saint-Saturnin" dans des chartes (ibid.) de décembre 1011 et de 1064 ; mais dans la bulle du pape Adrien IV, de décembre 1156, qui énumère les églises que possède le Chapitre de Nîmes, est simplement mentionnée : "l'église de Calvisson".
(*) rectifié et ainsi transcrit par E. Germer-Durand en 1875 ; cette terre d'Ardessan, sise loin au nord de Saint-Saturnin, sera en 1596 l'objet d'un conflit de territoire entre Calvisson et Saint-Côme.

On ne trouve plus de trace écrite de cette église jusqu'en mai 1482, quand les consuls Guillaume de Saint-Jean et Guillaume Audoyer "baillent par prix-fait" à Jean Dortos, tailleur de pierres de Nîmes, la poursuite de sa (re)construction-transformation (V°Brozer - la partie juridique est rédigée en latin, la partie technique en occitan).
Dortos a déjà construit (quand ? ce n'est pas indiqué) une première travée qui lui servira de modèle.
Il a pour charge de construire deux nouvelles travées identiques à la première ; ce seront deux "croisières" (des croisées d'ogives), appuyées, au nord sur les piliers existants (de l'église romane) et au sud sur de nouvelles "ancoules" à élever par Dortos, en remplacement des piliers ronds de l'ancienne église, sur des fondements à "caver" (creuser) par la Communauté. Et il *parfaira* les ancoules du mur nord pour les adapter aux nouvelles "croisières".
Et derrière l'autel en travers du chœur, Dortos construira une sacristie double d'une canne (≈2m) de largeur (de profondeur ?).
Le prix est payé, travaux achevés, en juin 1486.

Au long du 16è siècle et jusqu'en 1622, plusieurs prix-faits et anecdotes attestent de la présence, près du mur de façade, d'un clocher-tour, vraisemblablement d'architecture romane. Ce clocher avait 4 niveaux : le rez-de-chaussée abritait une chapelle, celui du sommet la cloche, le curé habitait les niveaux médians. Il était desservi par un escalier extérieur à vis (sa base ruinée serait-elle la °protubérance° que l'on voit aujourd'hui dans le °renfoncement° entre les deux ancoules sud-ouest ?).
Au début des guerres de Rohan (1621), les habitants de Calvisson, presque tous protestants, veulent prendre l'église et le clocher-tour pour en faire "une forteresse de guerre" ; on vient parler au curé "par la fenêtre de la vis du clocher" où il est retranché, pour l'avertir des menaces des gens de guerre qui détruisent tout sur leur passage ; on met deux gardes au sommet du clocher, au-dessus de la chambre du curé ; mais le curé retire l'échelle ..., les gardes ne pourront être relevés ni ravitaillés.

Pendant les guerres de Religion, l'édifice subira, de l'un et l'autre camps, bien des dommages. En 1623, l'église et le clocher-tour, entièrement abattus par les habitants, ne sont plus que des ruines.
Un grand *Merci !* à mon ami Nicolas Lawriw, Paléographe à Congénies, pour ces précieux renseignements

Les chapelles latérales, au midi de l'église, seront construites pendant cette période, vraisemblablement avant 1550. Je n'ai pas -encore- trouvé trace écrite de leur édification.

Le Chapitre de Nîmes fait relever partie de l'église en octobre 1665. Un "prix-fait est baillé à Étienne Delort et Jean Cassafiere vieux, maîtres-maçons de Nîmes" (V°Brozer) : "le bâtiment ... depuis le bout du côté du levant où il y a la place des trois autels jusqu'au second arc doubleau icelui inclus, c'est à dire deux croisières dans la nef, sera continué sur le vieux fondement des murailles et ancoules ... en l'ancienne hauteur, forme et architecture ...".
Sur le chœur et deux travées, on refait tout, piliers, murs, croisée d'ogives, sol, vitraux, comme auparavant. Et sur l'ancoule du mur nord qui soutiendra la future façade ouest "sera fait un talus de vingt-quatre pans de hauteur (≈6m) bien fondé pour soutenir l'ancoule", un aménagement bien visible encore aujourd'hui. Comme d'habitude alors, les mesures, matériaux à employer, formes à respecter, ornements, mobiliers et accessoires à ajouter sont minutieusements détaillés.
Les chapelles du côté du midi ne seront pas reconstruites ; mais un arc doubleau sera inséré dans le mur et sera "rempli de muraille par-dessous".
Le mur de façade ouest à édifier supportera un "clocher à la capucine" et y sera intégrée "une porte -avec battants en bois de noyer- pour donner entrée à l'église de sept pans largeur (≈1,75m) et quatorze pans hauteur (≈3,5m) de l'ordre ionique".

C'est cette église que l'évêque Séguier °visitera° en 1674.

En mai 1686, sur délégation de "Monseigneur Nicolas Lamoignon de Basville, Intendant du Languedoc", prix-fait est baillé à "Pierre Jalmeton, maître-maçon de Nîmes, moins-disant à l'adjudication", pour l'agrandissement de l'église (V° Brozer). La paroisse compte alors 2 000 habitants ; l'église est longue et large de sept toises et trois pieds (≈14,90m), il faut bâtir la même grandeur ; les plan et devis ont été faits par "Sieur Guillaume Calhaud, architecte commis à cet effet".
Sur les deux nouvelles travées, là encore on refait tout comme c'était avant ; la hauteur des voûtes est cependant précisée : six toises (≈12m) à la clef.
L'entrepreneur devra "démolir [la] partie des anciennes murailles qui sont corrompues ... découvrir tous les fondements et aplanir ... après quoi il bâtira".
En 1674, lors de la visite de l'évêque Séguier, la "muraille du côté de l'évangile (nord) [était] pourtant encore fort élevée". Au lieu de l'araser, l'entrepreneur se serait-il contenté de la conserver comme assise à une nouvelle élévation ? Elle était "corrompue" ; ceci expliquerait-il les °désordres° constatés aujourd'hui sur les murs nord de ces deux travées 
"Dans la muraille qui ferme l'église vers le cimetière sera fait un portail de quatre pieds (≈1,20m) sur huit (≈2,40m) de hauteur à deux battants bien ferrés de six gonds".
"L'entrepreneur achèvera la bâtisse de la tour qui sert pour ancoule (le clocher-tour ancien ?...) et fera un petit degré (escalier) à vis pour servir à monter sur le couvert (... ou l'ancoule visible aujourd'hui qui renferme un escalier ?)" et "remettra le clocher à une ouie".

Pour l'entier ouvrage, l'entrepreneur percevra 2 300 livres (≈71 000 €). Et il "prend en paiement les matériaux provenant de la démolition du Temple ... consistant en pierre de taille, rassière, bois, tuiles, fers et vitres ... pour la somme de 700 livres (≈21 600 €)".

C'est cette église que l'évêque Fléchier °visitera° en 1694 ; et c'est elle que nous voyons aujourd'hui.