jeudi 21 avril 2022

Le deuxième temple de Calvisson

On le trouve ainsi décrit au compoix de 1664, au compte de la Communauté : "Un temple avec ses degrés célestes et aiziments (= aisances) le tout joignant ensemble ... confronte de toutes parts les carrières, contient de couvert vingt-deux dextres trois quarts (≈ 455m²), degrés célestes ou aiziments huit dextres trois quarts (≈ 175m²), estimé ...".
Il est transféré sur le compte "Les habitants faisant profession de la Religion Prétendue Réformée" en mars 1672, lors de la création de ce dernier compte.
(Même après avoir été démoli, le Temple ne sera pas radié du compte de la R.P.R., alors que les autres possessions ont été radiées au fur et à mesure de leur cession.)

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Tous les événements relatés ci-après peuvent être retrouvés sur le site Internet de Brozer TéléArchives (V°Brozer) dans les délibérations consulaires (série BB) des années 1647 à 1650.

Le premier temple, construit en 1591-1593 au début de la rue Baratier, s'était vite, dès 1601, révélé trop petit et bruyant à cause du moulin à huile voisin. Puis au fil du temps, "étant tout à fait au bout du lieu, il [en résulte] de grandes incommodités en temps de pluie et mauvais temps, ... il est si petit qu'il ne peut pas contenir la moitié des habitants".
Au conseil général du 3 novembre 1647 (V°Brozer), "ont délibéré les habitants unanimement ... qu'il vaut mieux faire un plus grand temple en un lieu plus commode que de raccommoder [l'actuel] qui ne pourrait jamais rien servir après y avoir beaucoup dépensé" et donnent charge au consul, assisté de huit ou dix "bons habitants", de "choisir un lieu et acheter au meilleur prix ...".

En avril 1648, un Conseil général confirme le projet ; on a choisi pour "plat-fonds" la maison appartenant autrefois à M. de Nages (vraisemblablement François de Barrière, seigneur de Nages - Compoix de 1588), dont M. de Boucoiran vient d'hériter.
Puis début mai 1648, on va à Marsillargues pour demander au Marquis s'il agrée la construction du temple. Fin mai, on fait marché avec M. de Boucoiran (vraisemblablement Louis de Calvière, Baron de Boucoiran, Président au Présidial de Nîmes) pour 900 livres (≈ 33 500 €) payables dans 4 ans avec intérêts de 5%, soit 45 livres (≈ 1 675 €) par an.

En janvier 1649, on décide que les habitants devront "commencer à démolir certains membres [de la maison] et creuser les fosses pour faire les murailles du temple" ; et "pour conduire l'œuvre un maître maçon sera payé quinze livres (≈ 560 €) et ses compagnons huit livres pour travailler pendant quatre semaines qui sont vingt-quatre jours ... et nourris par les habitants".
Journées de travail et paiement de la nourriture pour les maçons seront supportés par les habitants "suivant [leur] présage".

Début avril 1649, après consultations et négociations, on fait marché avec un maître-maçon de Montpellier pour "l'édification des murailles —de hauteur suffisante et trois pans d'épaisseur, deux portes, l'une du côté du levant et l'autre du côté du couchant, et les fenêtres nécessaires d'une canne de longueur et quatre pans de large— au prix de quatre livres la canne carcade (= carrée ?) tant pleine que vide" et pour "la façon de deux arches en croix d'un coin à l'autre sur le mur du levant et de la chaire du pasteur [avec un] degré à deux montées et balustres", au prix négocié de cinq cent cinquante livres, plus "un demi vaisseau de vin rouge et un homme et une mule [pour que le maçon puisse transporter son matériel depuis sa] maçonnerie".
Puis on va à Mus chercher les deux-cents quintaux (≈ 10 tonnes) de "bonne pierre de taille" que le maçon dit nécessaires et on fait venir de Combas la chaux qu'il faudra employer au fur et à mesure.

Mi-juillet 1649, après avoir pris l'avis d'un maître-charpentier de Montpellier, Consul et Viguier vont à Beaucaire pour acheter le bois nécessaire à la charpente du Temple.
Mi-août, le bois est arrivé par bateau depuis Beaucaire au Pont de Laute, près Le Cailar, où on a commencé à le décharger. Il faut le ramener au plus tôt mais les habitants sont réticents, la Ville est fermée depuis le 9 août pour cause d'épidémie ; aussi la Communauté paiera les journées de ceux qui accepteront de le charrier.

Fin août 1649, un conseil général décide que par souci d'économie les murs du temple ancien —de 1591-1593, rue Baratier— seront démolis pour en utiliser les pierres, notamment celles des fenêtres.

Fin octobre 1649, la Communauté a emprunté déjà 2 400 livres pour le temple ; aussi, on décide en conseil général qu'on fera un rôle d'imposition pour 3 000 livres (pour comparaison, la dîme annuelle est de montant similaire).
En conséquence on imposera "trente-deux tailles de présage (= 32 fois l'estimation de tous les biens imposables) tant sur le compoix terrien que cabaliste sur tous les habitants et contribuables aux tailles du présent lieu faisant profession de la Religion Prétendue Réformée, les Catholiques exemptés".

En février 1650, on fournit au maçon "deux ou trois douzaines d'aix de pibou ou de fraix (de planches de peuplier ou de frêne) ... pour lui servir aux hauts du temple" (vraisemblablement pour coffrer les arases) ; mais on lui refuse la "corde de vingt cannes [qu'il demande] pour monter les pierres". Puis on fait démolir le degré (= l'escalier) du temple ancien pour en récupérer les pierres rassières qui manquent pour le nouveau.

Fin mars 1650, on fait marché avec un maître-charpentier de la ville d'Uzès qui, pour le prix de 400 livres, fera "toute la charpenterie, ... couvrir avec des tuiles, ... la tribune dedans la muraille du côté du midi ... et le couvert de la chaire du pasteur".
Le prix convenu sera agrémenté par l'attribution d'un demi-vaisseau de vin rouge.

En mai 1650, il faut acheter -et payer- du bois pour les combloux (= les liteaux ?) de la charpente et de la chaux ... et maçon et charpentier demandent à être payés.
Mais la Communauté ne trouve pas à emprunter pour ce faire.
Aussi, on approuve en conseil général "une cueillette d'argent" auprès d'un petit nombre d'habitants °désignés volontaires° en avance d'une prochaine imposition. Mais cette "cueillette" est insuffisante...
Début juin, on décide donc de faire un rôle de 2 000 livres pour "une imposition de vingt-une tailles tant sur le compoix terrien que cabaliste de ceux de la R.P.R., les Catholiques exemptés".

En juillet 1650, on achète, pour 110 livres, une maison voisine du temple qur l'on démolira pour en récupérer les pierres de taille. Puis on fait ferrer les portes et les fenêtres.

En août 1650, l'œuvre est presque achevé. On fait agencer le banc du consistoire par le charpentier ; puis construire un escalier à deux marches tout autour du temple, paver le sol de bars et bâtir deux escaliers avec porte pour monter à la tribune et "trois colonnes d'ordre ionique" pour la soutenir.
Pout tout leur ouvrage, passé et à venir, les maçons seront payés 1 800 livres, à charge en sus de "ranger les sièges de la place publique (mettre en rang = construire en alignement ? les bancs de la halle couverte récemment édifiée, où s'installent les °petits marchands°)".
On a aussi fait poser sur le couvert des gorgues (= des gouttières) au bas des deux pentes, une pomme et une girouette, le tout en fer blanc.

En novembre 1650, on définit l'emplacement du banc des consuls : un banc de quatre places, au degré le plus bas (= au premier rang) sous la tribune, entre les deux colonnes du côté du couchant. Et la "Compagnie Ecclésiastique (= le Consistoire ?) donnera [leurs] places aux hommes et aux femmes dans le Temple".

Fin novembre 1650, le Temple est achevé.

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Une énumération chronologique un peu °litanique° mais qui m'a paru intéressante pour imaginer le bâtiment et approcher les us de l'époque.
Le Temple aura coûté au total plus de 5 000 livres (≈ 185 000 €) aux habitants R.P.R. de la Ville.
Pour comparaison une propriété agricole contenant en plusieurs parcelles près de 14 000 m² de terres, 6 800 m² de vigne et 3 500 m² d'oliviers a été vendue dans la même période pour 960 livres. Et une maison de 100 m² plus sa cour située dans le quartier du Temple est vendue au prix de 520 livres.

Le Temple sera démoli, dit-on, en 1685. Il est en tout cas avéré que le maçon qui reconstruit et agrandit l'église Saint-Saturnin en 1686 (voir mon article du 8 février 2022) "prend en paiement les matériaux provenant de la démolition du Temple ... consistant en pierre de taille, rassière, bois, tuiles, fers et vitres ... pour la somme de 700 livres (≈ 21 600 €)"

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Merci pour ce récit.
    Drôle de plan d'illustration : le nom des voies semble fantaisiste !
    https://v-earchives.gard.fr/viewer/FRAD030_3PFI/CALVISSON/FRAD030_3PFI_055_001.jpg

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  2. Bonjour. Merci pour votre appréciation.
    Quant au nom des rues...
    La référence que vous citez est la cadastre Napoléon de 1834 ; ma référence, indiquée en légende de l'illustration, est le compoix de 1664.
    Explorez ce compoix (une goutte de paléographie est nécessaire) et vous trouverez les noms que j'ai indiqués ... qui ont bien sur évolué depuis, alors que les tracés sont quasiment identiques.
    Vous pouvez aussi consulter la page "les rues" de ce blog, qui fait un historique succinct de leur appellation à différentes époques.
    Bien cordialement.

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Merci pour vos contributions