Ce n’est pas une légende urbaine : il y avait une croix monumentale sur la place du Pont.
On la trouve tracée sur un croquis du plan d’alignement de la commune arrêté par le Préfet du Gard le 24 octobre 1871 (cerclée de rouge sur l’image ci-contre).
La croix elle-même, en fer forgé, datée "1817", est aujourd’hui mise en valeur dans l’abside de l’église Saint-Saturnin.
Cette croix est mentionnée dans la base Palissy du Ministère de la Culture, "monument historique" depuis le 28 juillet 1975, décrite comme "Croix monumentale (croix de mission) … élevée sur la place du village en 1817 et transférée dans l’église, soit en 1830-1831 ... soit à l’époque 1900 ...".
Mais son histoire semble tout autre … Je l'ai trouvée, narrée façon journaliste, dans deux articles de presse (Le Messager du Midi) des 2 mars et 29 avril 1886.
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Le premier article, rappelant sa construction, écrit "histoire particulière ... symbole de la paix et de la conciliation entre les catholiques et les protestants".
Je n'ai pas trouvé de preuve, alors je me contente d'hypothèses.
1817 ... C'est l'année du retour du culte catholique dans l'église Saint-Saturnin, qui avait été "donnée aux protestants" par Napoléon. C'est aussi le Concordat, jamais appliqué, qui aurait rétabli le diocèse de Nîmes supprimé en 1790.
Alors, sachant que la commune fut, de tout temps, gérée par des élus de religion protestante, cette croix aurait-elle été "offerte" par la communauté protestante à la communauté catholique pour célébrer ces deux événements ?
Les deux articles concernent la démolition de la croix. Ils sont en grande partie corroborés par les comptes-rendus du conseil municipal de l'époque.
À la session d'automne 1885, est évoquée, hors compte-rendu, vraisemblablement à l'initiative des conseillers "socialistes radicaux" (comme ils étaient nommés à cette époque), la démolition de la croix "qui gêne la circulation".
Émile Lhoustau, alors maire de Calvisson, "socialiste modéré", réussit à repousser la décision à la session 1886 du conseil.
La question revient donc en conseil municipal le 7 février 1886. Le Maire, qui a entre-temps pris langue avec le curé du village, propose un simple déplacement de la croix et met en jeu sa démission au cas où la démolition serait votée.
La question est définitivement tranchée lors de la séance du 21 février 1886 : par 7 voix contre 6, la démolition de la croix est votée.
Le maire Émile Lhoustau et son adjoint Aimé Aubanel démissionnent immédiatement.
De nouveaux conseillers municipaux sont élus le 4 avril 1886 ; Jules André, "socialiste radical", est élu maire le 11 avril.
Le second article rapporte comment la croix fut démolie.
Aucun maçon de Calvisson ni des environs ne veut se charger de la besogne.
Alors, le lundi de Pâques 26 avril 1886, à 5 heures du matin, le nouveau maire lui-même et deux conseillers municipaux se mettent à l’ouvrage.
Ils abattent, au marteau et à la pioche, la colonne en pierre qui supporte la croix. Puis ils bourrent le socle de poudre noire et le font exploser.
Il n’y a plus de croix monumentale sur la place du Pont.
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Ce n’était certainement pas une croix de mission, mais c'était beaucoup plus vraisemblablement une croix purement calvissonnaise.
Elle n’a été transférée dans l’église que parce qu’elle a été démolie en 1886.