L’eau arrive au cœur du village
En avril 1592, un •maistre ingenieux fontanyer• propose aux consuls de faire venir l’eau de Fontanilles à la Placette (la place du Docteur Farel aujourd’hui) pour « y faire un beau griffon qui ferait grand profit à la ville ».
Les habitants ne disposaient alors que de sources excentrées, parfois non aménagées, où il était malaisé, voire dangereux, de puiser l’eau. Assemblés en conseil général, le plus grand nombre d’entre eux approuvent le projet.
Le marché est conclu pour 300 écus (un peu plus de 41 000 € aujourd’hui). La Communauté fournira en sus 3 quintaux (alors, soit environ 150 kg aujourd’hui) de fer et 2 quintaux de plomb. De plus, les habitants creuseront eux-mêmes le fossé destiné à la canalisation.
Pour ce creusement, les consuls font imposer 6 tailles (6 fois la valeur cadastrale des propriétés) payables en argent ou en journées de travail, pour 12 sous (environ 27,50 €) par journée.
Le chantier commence au début du mois de mai 1592. Mais les habitants, souvent occupés par les travaux des champs, sont peu assidus et le maître fontainier se plaint de retards qui empêchent ses maçons de travailler et lui coûtent cher.
Le fossé est profond, parfois plus de 2 mètres, pour garder la pente de la canalisation. Le fond est maçonné pour recevoir les bourneaux (élément de canalisation cylindrique) en terre cuite, qui seront couverts de dalles de pierre.
Et il y a des opposants… Un habitant, de Bizac, assigne les consuls en justice parce que le maître fontainier prend du chafre (sable à maçonner) dans la carrière de la ville ; on ira en procès mais on continuera de prendre le chafre nécessaire. Et un autre a ôté une pierre protégeant la canalisation ; au prochain conseil général, on fera « une bonne règle » pour punir ceux qui « feront empêchement au griffon ».
Fin septembre, le fossé et la canalisation sont achevés. Reste à la raccorder à la source. Au ruisseau qui en coule ou par un pertuis (une ouverture à percer dans la source) ?
Début octobre, tous ensemble, nombre d’habitants, édiles et autres •bons maistres• se rendent à la source. Après long conciliabule, on décide de faire un pertuis. Et de construire un abri pour protéger l’ouvrage, abri sur lequel les armoiries de la ville, des fleurs de lis, seront gravées (est-ce le petit bâtiment qui, aujourd’hui encore, protège la source ? diverses inscriptions restant à déchiffrer y apparaissent en entaille).
Fin octobre 1592, le griffon est édifié ; l’ouvrage entier est alors achevé.
Le maître fontainier demande son paiement. Mais il ne sera payé que dans un an et un jour après que l’on soit assuré que le griffon tient debout et fonctionne correctement.
Toutefois, pour tenir compte des difficultés et retards qu’il a rencontrés et qui lui ont porté préjudice, la ville lui alloue 50 écus (un peu moins de 7 000 €) pour dommages et intérêts, qui lui seront payés tout de suite.
Le fossé/canalisation sera arpenté et décrit en novembre 1593 par le •maistre harpenteur• de la ville « pour savoir où sont posées les tines (on dirait aujourd’hui les regards) […] afin qu’il en soit mémoire à tous ceux qu’il appartiendra ».
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Ainsi, en 7 mois, avec les moyens rustiques de l’époque (des pics, des pelles et des carrioles), on a creusé un fossé et construit une canalisation (de terre cuite et de mortier de chaux, avec de simples truelles) de presque 600 mètres de long.
Sur un tracé et avec un nivellement définis de façon tout aussi « rustiques » ...
Ce tracé a été reporté sur le plan actuel ci-dessus. Il est toujours le même aujourd’hui.
Certes, il a depuis été diversifié et allongé pour desservir d’autres quartiers du village. Et les conduites ont été modernisées.
Et le griffon a été réparé et refait plusieurs fois. Pour la dernière en 1847, lorsqu’il fut édifié dans la forme qu’il a aujourd’hui.
Et l’eau de Fontanilles, aujourd’hui placardée « non potable », a désaltéré chaque jour les habitants jusqu’en 1933, date d’arrivée de « l’eau courante » dans la plupart des habitations.
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